Rois des Flandres

Il se dresse face aux coureurs au détour d’un virage, terrible obstacle conçu pour couper les jambes et le souffle. Le Mur de Francorchamps. Pour le profane, impossible d’imaginer que cette masse de glaise, d’herbe et de pierres fait partie du parcours de cyclo-cross. Plus qu’un obstacle, c’est un juge de paix. Une pente de plus de 50% d'inclinaison que les coureurs franchissent sept fois, vélo sur l’épaule, genoux dans la boue. De part et d’autre du monstre se massent les spectateurs. L’équilibre est précaire. Les lourdes cordes installées le long des talus pour aider les fans à grimper n’empêchent ni les glissades sur la terre humide, ni les chutes. Le Mur est l’attraction principale du circuit de Spa-Francorchamps en Belgique, qui, une fois par an, oublie la Formule 1 pour accueillir une manche de la Coupe du monde de cyclo-cross.

Le cyclo-cross se nourrit d’embûches et de souffrance. C’est ce qui fait le sel de cette discipline, reine dans les Flandres. Une heure de course sur un circuit de quelques kilomètres, entre côtes courtes mais raides, où le porté de vélo est obligatoire, et descentes boueuses qui défient l’équilibre des concurrents. Tous les week-ends entre septembre et février, les coureurs arpentent le Bénélux pour affronter un parcours différent, sur une manche de Coupe du monde ou de Superprestige, l’autre compétition majeure de la discipline. À chaque course, de nouveaux obstacles les attendent, mais des incontournables perdurent : un terrain difficile et souvent boueux, des dénivelés importants, des supporters flamands enflammés au bord du circuit dans une odeur tenace de bière blonde, de frites et de sous-bois.

coureur

L'ascension du mur de Francorchamps s'apparente parfois plus à de l'escalade qu'à du cyclisme.

Erwin Vervecken

Erwin Vervecken, concepteur du circuit Francorchamps.

Erwin Vervecken est un peu chez lui à Francorchamps. L’ancien coureur a dessiné le circuit qui fait tant souffrir la nouvelle génération. À la sortie de la cabine télé, d’où il commente la course, il explique qu’il aime proposer aux concurrents des épreuves qui mettent au défi leur agilité et leur endurance : « À Namur ou à Francorchamps, ce sont des courses avec des dénivelés vraiment considérables. Le Mur à plus de 50% de pente, c’est extrêmement dur. Il faut surtout de la force dans les jambes pour pouvoir monter avec le vélo sur les épaules. » Loin d’être sadique, il sait très bien ce que son parcours fait subir aux coureurs : il a été sacré trois fois champion du monde dans les années 2000.

Allier l’intensité physique à la technique : c’est le défi des cyclocrossmen, cyclistes pas tout à fait comme les autres. L’effort demandé sur un parcours est court. Pas de longue descente pour se reposer après avoir gravi un col. Une heure, à bloc, tout le temps. Pour Frédéric Grappe, directeur de la performance des routiers de l'équipe FDJ, « les coureurs sont de gros moteurs, ils ont de grosses VO2 Max. Des vrais rouleaux compresseurs. » Les jambes en feu, l’esprit aiguisé : sur des terrains particulièrement accidentés, entre boue, racines et feuilles mortes, la concentration doit être maximale. « Ce sont des gens qui ont une très grande finesse perceptive. Ils vont ressentir des choses sur chaque coup de pédale », précise l’entraîneur. Les cyclocrossmen sont les acrobates du cyclisme, des équilibristes qui parviennent à rester sur leur vélo dans la terre ou le sable, à franchir des obstacles à pleine vitesse, en bunny-hop ou vélo sur l’épaule.

circuit

Cliquez sur les différents points de la carte pour en afficher un descriptif.

Sport viscéralement flamand, le cyclo-cross est pourtant né en France. Son histoire est jalonnée de grands noms du cyclisme sur route, passés par la discipline avec brio. Au panthéon du cyclo-cross, on trouve Géo Lefèvre, co-créateur du Tour de France mais également, en 1903, du premier « cyclo-cross pédestre ». La légende raconte qu’il s’est inspiré des déplacements des soldats de la guerre franco-prussienne de 1870, obligés de passer par des chemins de traverse, vélo sur le dos et bottes dans la boue. Pour les grands noms du cyclisme sur route, l’épreuve est devenue une occasion de plus de briller. Eugène Christophe, figure mythique du Tour de France pour la réparation de sa fourche dans le Tourmalet en 1913, était également un grand cyclocrossman, six fois champion de France entre 1909 et 1914. Jean Robic, vainqueur du Tour de France 1947, est devenu en 1950 le premier champion du monde de cyclo-cross. Chasse gardée des Français pendant un demi-siècle, la discipline traverse les Ardennes avant de connaître une domination flamande. Difficile aujourd'hui pour les tricolores, comme Francis Mourey ou Clément Venturini, de rivaliser avec les meilleurs. Pour Philippe Bouvet, journaliste spécialiste des Labourés, la bascule a lieu en 1994, lors des Championnats du monde organisés à Coxyde, petite station balnéaire de l’ouest de la Belgique. « C’est un peu la date du renouveau, il y a eu un vrai engouement populaire. Le sommet a été atteint avec Sven Nys dans les années 2000. Il a gagné 50 manches de Coupe du monde, il a été la référence pendant 15 ans. Dans les Flandres, il est aussi populaire que Tom Boonen. »

supporters

Sur les circuits, impossible de rater les supporters de van Aert et leurs manteaux bleus.

C’est l’autre visage de cette discipline méconnue dans l’Hexagone et portée aux nues par nos voisins belges : chez eux, l’engouement que suscite le cyclo-cross n’a rien à envier à son prestigieux voisin de la route. À une centaine de kilomètres de Francorchamps, une nouvelle manche de Coupe du monde se dispute sur le circuit embrumé de Namur. Serrés les uns contre les autres, les passionnés tapent des pieds et des mains. Impossible de se réchauffer en ce mois de décembre, quand la température n'atteint pas les dix degrés. Les coureurs sont déjà passés sous les encouragements plusieurs fois. Il faut attendre de les voir revenir, l'oreille tendue vers les haut-parleurs qui crachent les commentaires du speaker. On s'agite un peu, on s'allume une cigarette, on sirote une bière dans un gobelet en plastique. On s’écharpe sur les performances des coureurs avec son voisin, ses amis, sa famille. En Belgique, on vient en meute encourager son champion : avec toute la progéniture à l'arrière de la voiture, entre fanatiques.

Bart Demys

Bart Demys,
supporter.

« On va cinq à six fois par an sur des compétitions de cyclo-cross avec des cars de supporters », raconte Bart Demys, venu de Courtrai. Avec son ami, le quadragénaire veille à ne pas trop s'éloigner des bandes de tissu publicitaire tendues de chaque côté du parcours boueux. Pour être sûrs d'être bien placés quand arrivera le jeune Eli Iserbyt, alors champion du monde des moins de 23 ans. « Il est très sympa, on le connaît bien, il habite à 500 mètres de chez moi », sourit Bart. Chaque village ou presque a vu naître un champion de cyclo-cross, alors quand un « voisin » s’aligne au départ d’une course, il faut absolument venir l’encourager.

Beerhouse

La buvette, élément incontournable d'un circuit de cyclo-cross.

Le gros des troupes est rassemblé quelques mètres plus loin, dans cette cuvette de terre humide et de feuilles mortes, au pied des remparts de la citadelle de Namur. Pour rejoindre les centaines de fans agglutinés autour de la Beer house, il faut slalomer entre les racines sans perdre l’équilibre. Ici, il fait meilleur, au milieu des doudounes des supporters. Tous ont le regard fixé sur la course, diffusée par l'écran géant, seule lueur dans le crépuscule des sous-bois.

Dirk Veingerhoets

Dirk Veingerhoets,
supporter.

La clameur monte, les visages se tournent vers le haut de ce virage serré : le belge Wout van Aert dévale la pente. Son maillot blanc au liseré arc-en-ciel, celui de champion du monde, se détache dans l’obscurité naissante. « Je viens du même village que lui, Lille, s’enthousiasme Dirk Veingerhoets. La majorité des habitants sont des supporters de Wout, on a créé un club là-bas. » La tenue du retraité affiche sa préférence : bonnet griffé au nom de son favori et doudoune bleu ciel, la couleur des fans de Wout van Aert.

coureurs

Wout van Aert et Mathieu van der Poel, inséparables dès le départ.

« Ces deux-là, ils me font rêver. »

Au pied de la citadelle, le jeune prodige de 22 ans n'est pas seul. À ses côtés pédale furieusement le néerlandais Mathieu van der Poel, son premier concurrent, tout aussi précoce. Depuis leur arrivée au niveau élite à tout juste 20 ans, ces deux surdoués se retrouvent à chaque podium de Coupe du monde, à chaque Championnat du monde. Grands et musculeux, ils détonnent sur des parcours peuplés de coureurs petits et secs. Plus puissants dans les portés de vélo, ils sont aussi capables de rester en selle quand les autres mettent pied à terre. Leur domination, incontestable, suscite l’admiration même au-delà des frontières du cyclo-cross. Le directeur de course du Tour de France et de Paris-Roubaix, Thierry Gouvenou, porte un regard bienveillant sur les deux champions : « Ces deux-là, il me font rêver. »

Quand Mathieu est premier, Wout est deuxième, et inversement. Van der Poel chute ? Van Aert s'envole vers la victoire. Van Aert patine ? Van der Poel saisit sa chance. Ces deux-là poussent le mimétisme à l’extrême : lors de leurs championnats nationaux respectifs, le 8 janvier, chacun passe la ligne d’arrivée en premier, au même moment, à quelques 200 km de distance.

chiffres

À la fin du mois, les deux meilleurs ennemis se retrouvent se retrouvent à Belvaux, Luxembourg, pour l'apogée de la saison : les Championnats du monde de cyclo-cross. Le dernier sacré ? Wout van Aert. Avant lui, en 2015… Mathieu van der Poel. Chacun a remporté une fois cette course-reine : la belle se joue en cette fin du mois de janvier.

L’occasion est trop belle de montrer une fois pour toutes qui est le meilleur des deux, avant leur possible reconversion sur route. Wout van Aert n’a pas caché son envie de s’essayer aux Classiques flandriennes, comme Paris-Roubaix ou le Tour des Flandres. Mathieu van der Poel a aussi évoqué cette possibilité : « 2018 pourrait être un bon moment pour passer à la route », avait-t-il glissé au site belge d’informations sportives Sporza. Combien de temps ces deux prodiges vont-ils rester sur les circuits ? Le monde du cyclo-cross craint une fuite de ses ambassadeurs alors que ces derniers semblent en passe de dominer leur sport pour les quinze années à venir. Leurs duels sont la meilleure publicité pour la discipline, au moment où elle tente de s’exporter hors des frontières des Flandres. Et de sortir de l'ombre de la route...

«C'est plus qu'un sport, ça fait partie de notre religion, de notre code génétique.»

« Wout Van Aert champion du monde pour la deuxième fois consécutive ! Félicitations ! » Début février dans la province d’Anvers, la ville de Lille (la Belge) affiche sa fierté. Chaque pancarte dressée le long de la rue principale célèbre le couronnement de l’enfant du pays, une semaine plus tôt au Luxembourg. Originaire de la région, Guy van den Langenbergh est journaliste pour le quotidien flamand Het Nieuwsblad depuis douze ans. Il suit toutes les courses de la saison et pour lui la passion belge est culturelle. « Dans les Flandres, le vélo est populaire. C’est plus qu’un sport, ça fait partie de notre religion, de notre code génétique. » Et si les Flandres sont le pays du vélo, Lille en est la capitale. La ville compte 16 000 habitants et quatre champions du monde de cyclo-cross. Ce premier samedi de février, elle accueille son rendez-vous annuel de la discipline. Cinq degrés au thermomètre et une pluie qui s’intensifie au fil des heures. Rien d’insurmontable pour les supporters. Les pieds dans la boue, ils fêtent le titre de Wout van Aert, le prodige de 22 ans, sourire espiègle et regard froid. Mais aussi celui de Sanne Cant, sacrée championne du monde chez les féminines. Une autre pépite locale.

Gilberte Geysen

Gilberte Geysen,
habitante de Lille

À Lille, le cyclo-cross est un rituel. Tous les week-ends, les passionnés se retrouvent dans le centre de la ville et prennent le bus ensemble jusqu’à la compétition. Et ceux qui ne vont pas sur les circuits se réunissent dans l’un des deux bars qui se font face, sur la place de l’église. L’un est le QG des supporters de Sanne Cant, l’autre de ceux de Wout van Aert. Les photos du champion dominent le comptoir à côté duquel trône la pièce maîtresse du lieu : une statue cartonnée du coureur belge, taille réelle. C’est ici que Gilberte Geysen a ses habitudes. Cette sexagénaire habite à Lille depuis toujours. Elle l’affirme comme une évidence : « Tout le monde ici est fan. Tout le monde ne se déplace pas sur les circuits, mais tout le monde est fan. » Le sourire aux lèvres et une note de nostalgie dans la voix, elle se souvient du temps où sa passion a commencé, avec Paul Herijgers. En 1994 le cyclocrossman obtient son premier titre mondial à Coxyde, en passant la ligne d'arrivée son vélo sur l'épaule. Il devient le premier champion du monde de Lille où il vit encore aujourd'hui. « Je l’ai rencontré il y a 37 ans, je faisais partie de ses mécaniciens. Tout n’était pas aussi professionnel à l’époque, raconte Gilberte Geysen. Nous sommes allés en Allemagne, en Italie, en Suisse, en France, en Angleterre… Le tout dans le vieux van de mes parents, avec juste un matelas sur lequel dormir et trois vélos. »

Paul Herijgers

Paul Herijgers,
champion du monde 1994

Dix-sept ans plus tard, en 2001, Erwin Vervecken, lui aussi originaire de la ville, prend la relève. Il décroche trois titres de champion du monde. Puis vient le tour de Wout van Aert et de Sanne Cant. Pour Gilberte Geysen, « c’est un cercle vertueux. Quand tu as un premier champion du monde, les jeunes viennent aux courses et voient à quel point tu peux avoir du succès. Alors ils commencent à apprendre et à vouloir imiter leurs idoles. »

Au-delà de Lille, toute la Belgique peut s'enorgueillir des titres de ses cyclocrossmen. Avec Wout van Aert, c’est la 29e fois qu’un Belge est sacré en 67 Championnats du monde. Eric de Vlaeminck le premier, en 1966, a été couronné sept fois au total. En 1975, c’est au tour de son petit frère Roger, « Monsieur Paris-Roubaix », plus connu pour ses exploits sur route. Plus tard, Roland Liboton décroche quatre médailles d’or. Tous ont contribué à faire de la Belgique la nation reine de la discipline. Dans ce palmarès, les Français ne sont pas loin. Les premières éditions des championnats du monde sont marquées du sceau tricolore : entre 1950 et 1958, le titre revient systématiquement à un coureur de l’Hexagone.

Aujourd’hui, l’engouement français pour la discipline est limité à quelques régions traditionnelles : Bretagne, Pays-de-la-Loire, Hauts-de-France. Mais la passion du cyclo-cross s’étend jusqu’aux Flandres néerlandaises, comme à Hoogerheide, qui accueille la dernière étape de Coupe du monde, le 22 janvier. Dans la petite ville à la frontière belge, les cars des équipes sont garés sur la place principale, cernée de maisons aux briques rouges. Le circuit du jour se dessine à travers les mornes plaines flamandes, dont le calme est troublé par la musique entêtante que crachent en continu les enceintes. À l’entrée du site, les plus joueurs tentent de gagner des bottes en plastique, indispensables sur ce terrain boueux, dans des jeux de kermesse. D’autres se laissent tenter par un bonnet griffé du nom de leur champion. Avant de choisir un point de vue stratégique sur la course : en haut d’une motte de terre, entre deux arbres dans les bosquets, au pied de l’escalier où les champions poseront pied à terre... À chaque passage de leur idole, les supporters scandent son nom, l’encouragent à grands cris et en frappant du plat de la main n’importe quelle surface bruyante. Un peu à l’écart, plusieurs centaines de passionnés privilégient l’écran géant, l’assurance de ne rien rater du spectacle et de se ravitailler rapidement en frites, bières ou gaufres.

Près de la ligne d’arrivée, Marie Mourey, en habituée, est prête depuis le début de la journée. Bandeau polaire sur les oreilles et veste fermée jusqu’au cou, elle est venue du Doubs pour encourager son fils Francis. Le Français de 36 ans, neuf fois champion national, a commencé le cyclo-cross en famille et avec les voisins. « Mes enfants ont toujours fait du vélo, depuis l’âge de 10, 12 ans. Et puis Francis s’est lancé à fond dans le cyclo-cross. » D’après la mère de famille, la discipline est loin d’être la voie royale pour un coureur tricolore : « En France, dès qu’un jeune commence à avoir de bons résultats, on le met sur la route. Il n’y a pas d’équipe dédiée au cyclo-cross comme en Belgique ou aux Pays-Bas. »

Qui dit équipes dédiées, dit professionnalisation des coureurs. Les Belges sont devenus les plus nombreux sur les starting lists. Comme à Belvaux, pour les Championnats du monde fin janvier, où ils étaient 10 coureurs inscrits sur 72 participants. Dans sa cabine vitrée, Michel Wuyts commente la discipline pour la télévision belge, comme depuis 23 ans. Entre deux courses, le journaliste se souvient : « En 1998, on a pris la décision de retransmettre en direct la course à la télévision. Et ça été populaire tout de suite. » Cette année-là, les Belges Mario de Clercq et Erwin Vervecken sont respectivement médaillés d’or et d’argent aux Championnats du monde. Depuis, les audiences atteignent régulièrement un million et demi de téléspectateurs, pour un territoire, les Flandres, qui ne compte que six millions d’habitants. Même les compétitions féminines ont déjà rassemblé plus d’un million de passionnés devant leur écran. « Les Belges aiment voir des êtres humains dans la boue donner tout ce qu’ils ont, pendant qu’eux sont bien au chaud dans leur appartement », s’amuse Michel Wuyts. Et selon son confrère Guy van den Langenbergh, « c’est un sport très compact, ça ne dure qu’une heure et il se passe toujours quelque chose. Alors qu’une étape du Tour de France, ça prend trois ou quatre heures d’émission durant lesquelles il ne se passe rien sauf dans les 20 derniers kilomètres. Le cyclo-cross, c’est la formule parfaite. » Une saison de six mois, un épisode par semaine, les mêmes protagonistes à idolâtrer.

Michel Wuyts

Michel Wuyts,
commentateur du cyclo-cross

Mais les stars du feuilleton restent accessibles. « Ce que j’aime dans le cyclo-cross, c’est que l’ambiance est normale. Il n’y a pas de VIP, ce sport c’est pour tout le monde. » Quelques jours avant Noël, Bart Demys est venu à Namur. La ville embrumée a l’honneur d’être la seule wallonne à organiser une manche de Coupe du monde. Un cornet de frite à la main et de la mayonnaise au coin des lèvres, l’assistant social s'époumone pour encourager le jeune Eli Iserbyt dans les sous-bois de la citadelle. La course terminée, il rejoint son favori en zone équipes, où chaque fan est le bienvenu. Le quadragénaire déambule entre les camping-cars des équipes en sirotant une bière. Les techniciens nettoient les vélos au karcher et à l’éponge, sous les yeux attentifs des enfants. Les champions se prennent au jeu de la photo-souvenir et des félicitations. Ils retrouveront leurs fans le week-end prochain.

«Le cyclo-cross, c'est la formule parfaite pour la télévision»

Cette grande famille du cyclo-cross se réunit sans difficulté. Le plat pays est dix-huit fois moins étendu que la France métropolitaine : on installe les enfants dans les voitures et deux heures plus tard, toute la tribu arrive sur le circuit. Tant pis si on rate une course un week-end, une autre sera organisée la semaine suivante à quelques kilomètres. Sur les 52 étapes majeures de la saison 2016-2017, 22 se disputaient en Belgique, et quatre aux Pays-Bas voisins.

L’Union cycliste internationale a pourtant tenté d’exporter la discipline. Cette année, l’Italie, l’Allemagne et même les États-Unis ont vu les roues des cyclocrossmen fouler leur sol. Et l’apothéose de la saison avait lieu au Luxembourg, à Belvaux : 30 000 fidèles ont fait le déplacement pour les Championnats du monde. À quelques kilomètres seulement des Flandres. Lille-Belvaux : trois heures de route.

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Les fans de Wout van Aert, à Belvaux (Luxembourg).

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Ils sont assis face aux journalistes, côte à côte comme si souvent en course. Cette fois-ci, leurs visages poupins ne sont pas maculés de boue. Celui de Mathieu van der Poel est rougi d’avoir trop pleuré. En conférence de presse après les Championnats du monde, le médaillé d’argent ronge son frein. Obligé d’écouter pendant de longues minutes son rival revenir sur sa victoire, il a le regard dans le vague, la bouche tremblante. Wout van Aert, son adversaire de toujours, arbore un sourire en coin plein de fierté. Pour la deuxième année consécutive, le Belge a devancé le Néerlandais, à qui la victoire semblait pourtant promise. Les frères ennemis dominent largement la discipline. Entre les deux, la lutte pour la suprématie est toujours plus acharnée. « Je n'ai jamais vu auparavant deux types qui font une course d'une heure avec une telle vélocité, une impression de force, de vitesse… Je n'ai jamais vu ça. » Michel Wuyts s'époumone à chaque rendez-vous de cyclo-cross au micro de la chaîne flamande VRT. En plus de 20 ans de métier, il a vu évoluer ce sport, a connu la force de la nature Roland Liboton dans les années 80, le dominateur Sven Nys dans les années 2000. Il est pourtant formel, ces deux là sont hors du commun.

les faux frères

Dégouté, Mathieu van der Poel écoute son adversaire se réjouir de son deuxième titre consécutif.

« Je n'ai jamais vu ça »

Wout van Aert VS Mathieu van der Poel

Mathieu van der Poel et Wout van Aert sont les seuls à fasciner autant les fans. Deux stars, qui signent des autographes sur des cartes à leur effigie, distribuées avant les courses. En fin de saison, Wout van Aert arrive trois heures avant le début de la course à Hulst, bourgade néerlandaise toisée par un moulin blanc. Dès qu'il extirpe son mètre quatre-vingt-dix de sa berline noire, une trentaine de supporters se masse autour de lui. Sa mèche blonde, de naissance, colore un visage qui s’anime rarement. Devant la caméra, il dégage une sérénité confondante pour ses 22 ans, sûrement aidé par sa récente victoire aux Championnats du monde, la deuxième d'affilée. Lucide, il se sait fort. Mais reconnaît sa faille. Elle s'appelle Mathieu van der Poel. « Il est plus technique et très explosif. C'est un adversaire vraiment difficile à battre, concède le champion de Belgique, qui n'arrive pas à gagner quand les deux se retrouvent seuls en tête en fin de course. Je veux réussir à le battre dans un dernier tour. Je dois travailler cet aspect de la course à l'avenir. »

En dehors de la course, le Néerlandais van der Poel passe son temps avec son frère aîné David, habitué du top 20. Sur le circuit en revanche, c'est aux côtés de Wout van Aert qu'il partage la lumière. Dès le départ, difficile pour les spectateurs de rater leurs grandes silhouettes au milieu des frêles gabarits de leurs concurrents. En course, impossible de se tromper : les deux étoiles filent en tête, creusant l'écart à chaque tour avec leurs adversaires réduits à se partager les places d'honneur.

van der Poel à vélo

Plus explosif, van der Poel fait la différence au départ des Championnats du monde, mais sera victime de quatre crevaisons

van Aert

A Namur, Van Aert arbore un masque de souffrance, marqué par les ascensions répétées.

van Aert

Le 18 décembre à Namur, Mathieu van der Poel mène la course depuis le premier tour. Le visage fermé, il ne semble pas souffrir des multiples côtes du parcours, tracé autour de la citadelle qui domine la ville wallonne. Plus technique, plus explosif, il avale les bosses sans descendre de sa monture, quand les autres mettent le pied à terre et portent leur vélo sur l'épaule. Tombé à trois reprises dans les lacets du circuit, son alter ego belge fait parler son « wattage » pour compenser son déficit de technique et grappiller les secondes de retard sur le champion des Pays-Bas. La bouche ouverte, il parvient à recoller. Les deux s'observent, se jaugent du regard. Ils connaissent cette situation par cœur.

Namur

Van der Poel conclut un superbe mois en triomphant de son adversaire favori dans les côtes de Namur

« C'est Mathieu qui gagne trois fois sur quatre »

Chacun tente de doubler l'autre, profitant de la moindre occasion pour faire mal à l'adversaire. Parfois littéralement, lorsque leurs épaules se touchent pour se frayer un passage dans les étroits chemins boueux. Rassemblé sous l'écran géant, le public flamand n'apprécie pas ces chamailleries et encourage son favori aux cris de « Wout, Wout, Wout ! » Quand vient l'ultime côte du dernier tour, van der Poel s'élance avec une longueur d'avance, le visage toujours impassible. Le Néerlandais a su résister sur les parties plates et difficiles, là où van Aert excelle. La tête dans le guidon, celui-ci pose un pied un terre, handicapé quand les chemins s'élèvent par son physique démesuré. Quand le Belge jette un coup d’oeil vers le sommet, son rival s'est envolé.

Rencontré avant la course, le triple champion du monde Erwin Vervecken dresse un constat sans appel pour son compatriote belge : « Cette année, Mathieu van der Poel est le meilleur. Sans problème mécanique ni chute, c'est Mathieu qui gagne trois fois sur quatre. »

Mentalement, le Belge et le Néerlandais sont déjà des machines à gagner. La moindre défaite affecte leur moral. Une semaine après son échec aux Championnats du monde, Mathieu van der Poel a toujours du mal à encaisser. Toute sa famille l'entoure à son arrivée dans la zone équipes de la manche de Superprestige d'Hoogstraten. Mais lui, d'habitude si désinvolte, ne sourit pas. « C'est bien de gagner des courses depuis les Championnats du monde, mais ça ne remplace pas le maillot. » Il était favori pour repartir de Belvaux en arc-en-ciel, mais un mauvais choix de pneus et une dose de malchance ont détruit l'avance conquise grâce à sa technique hors pair. Une pierre mal placée, un pneu mal gonflé. Le hasard est parfois le seul moyen de départager les princes du cyclo-cross.

Le temps de la fin de saison, Mathieu van der Poel a calmé le rythme de ses tweets acerbes. Il assure respecter van Aert en dehors de la course, même s'il traite le directeur sportif du Belge de « pleurnichard » sur les réseaux sociaux. Cinquante fois vainqueur en Coupe du monde, Sven Nys ne goûte pas leur querelle enfantine : « La façon dont ils se parlent, c'est un peu limite. C'est mieux de montrer ses qualités pendant la course. »

Sven Nys

Sven Nys, 50 victoires en Coupe monde

« C'est mieux de montrer ses qualités pendant la course »

Les deux rivaux se croisent depuis longtemps sur les circuits. « Depuis qu’ils ont 16 ans », précise la mère de Wout van Aert. En 2015, à 20 ans seulement, ils écrasent déjà la concurrence aux Championnats du monde. À l’arrivée, Mathieu van der Poel devient le plus jeune champion du monde de l’histoire devant van Aert, deuxième. Le Belge prend sa revanche à domicile l’année suivante au terme d’un scénario incroyable. Dans une portion boueuse à mi-course, Mathieu van der Poel s’apprête à descendre de son vélo pour le hisser sur son épaule : il devrait perdre moins de temps pour gravir cette petite côte glissante. Au moment de poser le pied à terre, il coince sa chaussure dans les rayons de Wout van Aert. Sous les cris des supporters, les deux adversaires qui dominent la saison se retrouvent bloqués pendant de longues secondes, inséparables. Doublés par une demi-douzaine de coureurs, ils entament une remontée spectaculaire pour reprendre la tête de course. Wout van Aert, tout en puissance, remporte son premier titre mondial, à domicile.

Van Aert

Les secondes s'égrènent pendant que van Aert tente de retirer la chaussure de van der Poel des rayons de sa roue.


L’un est Belge, l’autre Néerlandais. Pourtant les deux rivaux sont plus proches que leurs maillots ne le laissent penser. Le 15 septembre 1994, Wout van Aert voit le jour à Herenthals, petite ville flamande près d’Anvers. Trois mois plus tard, à 40 km de là, Mathieu van der Poel naît à Kapellen. Tous les deux grandissent en Belgique près d’Anvers, terre de cyclo-cross. Wout van Aert est évidemment le favori du public belge, qui se nourrit de la rivalité avec les Pays-Bas dans tous les sports depuis des lustres. Les drapeaux à son effigie fleurissent au bord des parcours, les doudounes bleues de ses supporters sont les plus nombreuses dans les sous-bois. Mais Mathieu van der Poel n’est pas tout à fait un étranger, comme le rappelle Michel Wuyts : « Il vit chez nous, il parle comme nous, c'est un gars de chez nous. »

Pour Mathieu van der Poel, le cyclo-cross est une affaire de famille. Son père Adrie a été champion du monde en 1996. Il l’accompagne désormais sur toutes ses courses et s’occupe avec soin de son vélo dans la zone technique. En marge du Grand Prix qui porte son nom, à Hoogerheide, il raconte la jeunesse du petit génie du cyclo-cross, qui reste bien au chaud dans son camping-car en attendant la course. « Je ne l’ai jamais poussé, il a toujours pu faire ce qu’il voulait, il a fait du football. Mais très vite il s’est rendu compte que ce qu’il aimait, c’était le vélo. En cyclo-cross, il s’amuse ! » En remontant l’arbre généalogique, un autre grand nom du cyclisme apparaît : Raymond Poulidor, dont la fille a épousé Adrie van der Poel. Une glorieuse ascendance mais aussi une pression supplémentaire pour Mathieu van der Poel : « Je pense que le vélo c’est un peu dans les gênes. C’est un honneur d’être le petit-fils de Raymond Poulidor. Mais maintenant on me regarde plus pour mes prestations, et pas uniquement parce que je suis le fils ou le petit-fils de quelqu’un. »

Adrien Van Der Poel

Adrie Van Der Poel, champion du monde 1996 et père de Mathieu.

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Van Aert

Van Aert imite sa compatriote Sanne Cant, victorieuse la veille, en remportant les Championnats du monde à Belvaux.

Van Aert

Wout van Aert est, lui, le digne représentant d’une longue tradition, celle d’un village de la région anversoise : Lille. Dans ce bourg où le cyclo-cross est roi, le champion du monde est une star, mais aussi un voisin et un ami. Une question d’habitude : la région est une usine à champions du monde, de Paul Herijgers - en 1994 - à Erwin Vervecken - trois fois sacré. Avec son deuxième titre mondial obtenu dans la boue luxembourgeoise, van Aert s’inscrit dans la lignée de ces grands noms : « Cette année je suis champion du monde et Sanne Cant l’est aussi chez les femmes. On vient du même village, c’est assez marrant. » Le secret de Lille est difficile à percer. Pour Erwin Vervecken, il y a plusieurs facteurs à cette réussite, dont la géologie : « Dans cette région, il y a beaucoup de bois avec du sable. C'est très bon pour s'entraîner dès le plus jeune âge. »

Une dominance sans partage

« Il faut faire un choix »

L’héritier d’une lignée de grands coureurs et le dernier champion issu de la Mecque du cyclo-cross dominent outrageusement la discipline et peuvent envisager d’y régner quinze ans encore. Mais l’appel de la route se fait de plus en plus pressant pour les deux inséparables. Wout van Aert a déjà engagé la transition en rejoignant une structure mixte, à cheval entre le cyclo-cross et la route. Sera-t-il capable d’enchaîner les deux saisons, en hiver et en été, avec la même intensité ? Impossible pour le directeur de la performance de la FDJ, Frédéric Grappe : « Il ne faut pas rêver. Vous ne pouvez pas faire une saison de cross comme ils le font et ensuite être efficace sur la route. Il faut faire un choix. » Van Aert sait qu’il devra revoir ses ambitions à la baisse en cyclo-cross s’il veut concurrencer les leaders du peloton. Sa saison 2017-2018 sera amputée d'une dizaine de cyclo-cross, pour amorcer une transition dont il veut contrôler le timing : « C’est important de rester concentré sur ses propres objectifs. Quand je passerai sur la route, ce sera ma décision, pas celle de quelqu’un d’autre. » Le Champion du monde semble vouloir accélérer. En février Paris-Roubaix ne semblait pas être sa priorité, plutôt un objectif lointain autant qu'un rêve. Il devrait pourtant être aligné sur la reine des Classiques dès 2018.

Déçu par l’issue de sa saison, Mathieu van der Poel n’imagine pas non plus abandonner le cyclo-cross sur une défaite et aimerait « gagner la Coupe du monde l'année prochaine. » Mais pour le jeune Néerlandais, la question n’est pas de savoir s’il passera sur la route, mais plutôt quand : « Le cyclo-cross est un petit monde et je veux essayer de passer sur la route. Les Classiques, on doit d’abord les courir avant de savoir si on peut les gagner. Pour l’instant, je suis sous contrat jusqu’en 2019, je pense qu’après ce sera un bon moment pour basculer sur la route. » Il aura alors 24 ans et sera toujours éligible aux classements de meilleur jeune sur les Grands Tours. La conversion totale sur route attendra donc quelques années.

Indissociables dans la boue des circuits, van Aert et van der Poel pourraient voir leurs chemins se séparer sur la route. « Wout est plutôt un coureur de Classiques. Paris-Roubaix, le Tour des Flandres, c’est fait pour lui », prédit Erwin Vervecken, qui connaît le jeune surdoué depuis le berceau. Très puissant, le Belge devra encore travailler son endurance pour être performant sur une course de plus de 200 km. Pour Mathieu van der Poel, journalistes et anciens coureurs imaginent un autre destin. Plus mince et plus léger que son adversaire, il semble avoir les capacités pour briller sur un Grand Tour. « On dit qu'il a une VO2 max de 89, comme les vainqueurs du Tour de France », explique Vervecken. Champion du monde junior sur route en 2013 à Florence, van der Poel avait impressionné dans les côtes toscanes. « Depuis, il a grandi, il a pris un peu de poids », nuance son père qui veut tempérer ses ardeurs. Le petit-fils de Raymond Poulidor pourrait-il briller dans les cols français ? Pour l’heure, il se contente d’un petit rire nerveux avant d’éluder. « Le Tour, je ne sais pas, c’est très dur quand même… »

van der Poel

Abasourdi, van der Poel comprend dès sa dernière crevaison que le titre de champion du monde va lui échapper.

Wout van Aert

Wout van Aert (dossard 1) et Mathieu van der Poel (dossard 11) pourraient bientôt s'affronter dans les Classiques.

La transition comporte un risque majeur pour les deux étoiles de 22 ans. En cyclo-cross, leur popularité et leurs performances ne souffrent d’aucune contestation. Sur route, difficile de prédire quel serait leur niveau. « Ce sont des garçons qui gagnent entre 400 000 et 600 000 euros par an, assure le commentateur Michel Wuyts. S'ils restent des coureurs d'un niveau moyen sur route, ils ne gagneront jamais autant. » À l'apogée de sa carrière Sven Nys ne voulait pas quitter les Labourés et risquer de sombrer dans l’anonymat de la route. Les deux prodiges tenteront-ils le pari, quitte à laisser le trône des Flandres sans roi ? Approché l’été dernier par la Team Sky, plus gros budget du peloton, van der Poel n'a pas souhaité donner suite. Il se concentre, pour l'heure, sur le cyclo-cross. Sa rivalité avec van Aert va connaître un autre hiver.

Ce jour-là, le vent était trop fort.Tels des lions en cage, les coureurs tournent en rond dans la zone équipes, mais ils ne prendront pas le départ.L'Union cycliste internationale (UCI) a décidé d'annuler l'étape de Coxyde, une petite station balnéaire belge exposée aux bourrasques de la mer du Nord.« C'est la première fois que nous avons à prendre cette décision pour une Coupe du monde de cyclo-cross », regrette Christelle Reille, coordinatrice de la discipline auprès de l'UCI. Les rafales de vent de 130km/h ont eu raison de Coxyde, il n'y aura que huit étapes dans la compétition cette saison. « La décision a été prise bien trop vite. On annonce moins de vent dans l'après-midi », peste le champion du monde 2015 Mathieu van der Poel sur Twitter, frustré de ne pouvoir se mesurer aux conditions extrêmes qui pimentent chaque course.



Les cyclocrossmen aiment la difficulté. Dans la boue, le sable ou la neige, ils s'affrontent tout au long de l'hiver sous les yeux de spectateurs saisis par le froid et enveloppés dans le brouillard. Les conditions varient, mais la souffrance est toujours là. À chaque glissade, un frisson parcourt la foule respectueuse de ces gladiateurs modernes.



« L'hiver, le froid, la boue, c'est quand même moins monotone que le cyclisme sur route », vante un supporter belge pendant les Championnats du monde. Le déchaînement des éléments fait partie du quotidien des cyclocrossmen. Il conditionne leur façon de courir. On ne pilote pas de la même manière sur terre séchée par le froid que dans plusieurs centimètres de boue.

gif changement de vélo




Le cyclo-cross est défi lancé à la nature. Si le départ et l'arrivée doivent avoir lieu sur du bitume, le reste du parcours laisse place à des surfaces incertaines. Les passages les plus ardus doivent souvent se faire à pieds, la monture posée sur l'épaule. Quand les tours s'enchaînent, de plus en plusde coureurs descendent de leurs vélos pour emprunter des virages qu'ils maîtrisent pourtant aisément en début de course. La nature les épuise. Après une course à Hoogstraten, près d'Anvers, le coureur suisse Julien Taramarcaz explique qu'il « a le corps qui est usé, l'organisme et le mental sont usés. » En cas d'avarie en début de tour, certains doivent marcher plusieurs hectomètres jusqu'à la zone technique. Après une heure de lutte, les visages sont rougis par l'effort et brunis par la boue. Les coureurs méconnaissables semblent sortis d'une guerre de tranchées.

À Ostende, ce n’est pas la boue mais le sable qui complique la vie des coureurs.

Hunter Veloz,
mécanicien de la selection

Le vélo pèse sept kilos au départ, mais la boue peut vite l'alourdir. Il faut alors « passer aux stands » pour s'emparer d'une doublure propre. Le regard vers l'entrée de la ligne droite, le staff y attend ses coureurs, monture de rechange en main. « Changer de vélo en pleine course n'est pas un problème, c'est une stratégie », plante Hunter Veloz, le mécanicien de la sélection américaine. « Un vélo propre est un vélo plus rapide. » Dans cette zone de refuge pour les victimes de crevaisons, il faut descendre du cycle encore lancé, courir, attraper la nouvelle machine et bondir dessus. Le tout en perdant le moins dee temps possible. Dans le vrombissement permanent des karchers, les techniciens n'ont que six ou sept minutes pour nettoyer les vélos, avant le prochain passage des coureurs.

Joshua Dubau avant et après la course des moins de 23 ans aux Championnats du monde.

Tout au long de la saison, chaque parcours comporte des obstacles clès, souvent conçus pour rendre la course encore plus spectaculaire. Comme si les pentes naturelles n'étaient déjà pas assez éprouvantes, les organisateurs rivalisent d'inventivité pour compliquer les tracés. À Hoogerheide,aux Pays-Bas, les coureurs doivent grimper à chaque tour un escalier haut de 25 marches. Et quand les montées ne suffisent pas, les descentes sont parfois tout aussi difficiles. À Zonhoven, dans l'est des Flandres belges, la foule se presse le long de « la fosse », une pente sableuse où les chutes sont légion. Du côtè du parcours de bord de mer d'Ostende, en Belgique, c'est surtout la longue passerelle qui surplombe le tracé qui retient l'attention. Les coureurs doivent emprunter ses dix mètres de dénivelé dans les deux sens. Une corvée.

Mais l'obstacle le plus symbolique imaginé par les organisateurs reste certainement le Mur de Francorchamps. Une pente qui semble presque verticale et qui marque un peu plus les organismes à chaque passage. C'est ici que les écarts se creusent. Les coureurs l'empruntent à pied alors que les spectateurs s'aident de cordes pour se mettre à leur hauteur. À chaque passage, les maillots sont un peu plus trempés de sueur et maculés de boue. Quelques centaines de mètres plus loin, le virage du Raidillon et sa pente à 17% se dressent devant les cyclocrossmen. Un enchaînement éprouvant qui pousse tous les participants à s'allonger au sol une fois la ligne d'arrivée franchie, comme des marathoniens après l'effort.

Gérer pour mieux gagner : telle est la devise des cyclocrossmen. Lander Loockx à 19 ans, mais comme ses aînés, il maîtrise déjà son effort. Sur trois courses différentees, à Zonnebeke avec les professionnels, à Ostende et à Zolder chez les espoirs, sa fréquence cardiaque est identique. Le maître mot, la régularité. « L'une des spécificités des cyclocrossmen est la gestion de l'effort. Ils savent où ils en sont. Si vous prenez le temps au tour, à quelques secondes près ils font le même chrono », commente Frédéric Grappe, entraîneur de l'équipe FDJ et spécialiste de physiologie. Au départ, il faut bien partir sans trop se dépenser, rester au contact des meilleurs tout en gardant de l'énergie sous la pédale. En quelques secondes, la meute passe de 0 à 40km/h. Les plus explosifs font la différence.

Les cyclocrossmen sont puissants et légers, mais il y a des exceptions. Frédéric Grappe analyse : « Van der Poel, par exemple, est plutôt grand, longiligne. Il a un centre de gravité assez haut qui devrait l'empêcher d'être à l'aise techniquement. Mais manifestement ça n'est pas le cas. Encore une fois, entre la théorie et la pratique... C'est comme Usain Bolt en athlétisme. Il faut faire très attention à ne pas tirer de grandes conclusions : les champions son toujours des gens pas comme les autres. » Malgré des physiques différents, les cyclocrossmen se retrouvent sur un point : le mental. « Sans un haut niveau de motivation, ils ne pourraient pas faire ça. Plus vous êtes motivés, plus vous avez cette capacité à aller loin dans l'effort, ça va de pair. Ils sont durs au mal, il y a une capacité mentale à aller assez haut dans la douleur », détaille l'entraîneur de la FDJ.

Décupler son explosivité, augmenter ses capacités de résistance, tout cela cela se forge lors de préparation. Mais une fois la saison lancée, les entraînements servent surtout à entretenir la forme, sauf un jour par semaine. Ce mercredi de février, à la frontière entre Belgique et Pays-Bas, la température est négative, mais Laurens Sweeck, sixième aux Championnats du monde une semaine plus tôt et ses coéquipiers enchaînent les sprints devant leur mentor. Marc Herremans, ancien coureur professionnel, est aujourd'hui entraîneur de l'équipe belge Era Circus. Paraplégique depuis un accident de vélo, le natif d'Anvers est l'exemple-même du cyclocrossman. Trois mois après son accident, il participait à un Ironman, ces triathlons long format équivalent à 4 km de nage, une étape du tour de France et un marathon. « Pendant la saison, on n'a pas vraiment le temps de s'entraîner très dur. Il faut toujours récupérer de la course du week-end, puis pendant la semaine se prééparer pour la suivante. C'est toujours un équilibre à trouver », raconte Marc Herremans.

Marc Herremans,
entraîneur de l'équipe Era

Ce compromis, entre récupération et préparation, se traduit souvent par des allers-retours entre l'Espagne et la Belgique. « La plupart des coureurs professionnels vont en Espagne en décembre, ils y vont avant tout pour travailler leur endurance, c'est l'occasion de s'entraîner dur », explique Bart Wellens, double champion du monde au début des années 2000. Mathieu van der Poel a aussi fait ce choix. Au mois de janvier, Néerlandais se rend de l'autre côté des Pyrénées pour deux semaines de stage intensifs. Mais à son retour, il paye ses efforts trop intenses. Le coureur de 22 ans est distancé et battu à domicile, à Hoogerheide, devant son public. Il ne peut faire mieux que 24e, une semaine avant les Championnats du mondes de Belvaux.
La saison de cyclo-cross est longue. La répétition de l'effort met à mal les corps. Entre septembre et février, on compte plus de 160 courses. Le numéro un mondial, Wout van Aert, n'a eu aucun répit. Au cours de la saison 2016/2017, il a participé à 38 courses en moins de six mois, soit une épreuve tous les quatre jours. La densité était encore plus forte entre décembre et janvier. Lors du dernier mois de l'année 2016, le double champion du monde était au départ de dix courses. Forcément, le facteur physique est déterminant. Mathieu van der Poel, son rival, en a peut-être fait les frais. Lors de la sixième manche du DVV Trofee à Loenhout, le Néerlandais chute violemment, tête la première. K-O plusieurs minutes, il n'aura besoin que de quelques jours pour s'en remettre. Cette course était la cinquième en moins de quinze jours pour le coureur de 22 ans. La saison se joue aussi sur la résistance à la fatigue, compagne permanente des cyclocrossmen.

Émergeant du brouillard côtier, des silhouettes fantomatiques apparaissent. Elles semblent sortir de la mer du Nord, qui vient lécher le parcours de ces championnats de Belgique. Les corps des athlètes se dessinent, remontant poussivement la plage vers la ville d’Ostende. Dans ce décor lunaire, il faut écouter son vélo pour pédaler dans le sable. Le laisser esquisser des trajectoires tout en le contrôlant. Tels des pantins désarticulés, les champions empoignent d’une main les barrières pour se hisser vers l’avant. Quelques hectomètres plus tôt, les coureurs dévalent un pont vertigineux pour plonger à 50km/h sur la plage. Depuis son balcon, Pieter Soete, résident de la station balnéaire, observe le spectacle : « C’est comme dans la Rome antique. On n’a pas de gladiateurs contre des lions ou des tigres mais ce sont des gladiateurs avec leurs vélos. » Chaque course est un nouveau terrain de jeu. Celui des Championnats du monde, à Belvaux au Luxembourg, est l’occasion de démontrer l’étendue de sa palette technique. D’un bond sur leur vélo, les intrépides esquivent en bunny-hop les planches de bois disposées sur le parcours.

Serrant les cocottes du guidon, ils suivent habilement les sillons tracés dans la boue, cramponnent les freins dans un crissement aigu avant de se pencher vers la corde d’un virage. Devant la supériorité des éléments, les humbles champions mettent parfois pied à terre. En un éclair, le vélo est sur l’épaule. Ils sautent en marche, passent le bras à travers le cadre pour plaquer le guidon contre leur torse, avant d’avaler des escaliers ou un raidillon. Petits pas en montée, grandes enjambées si la boue est grasse. Puis ils bondissent sur leur machine, enclenchent les pédales avant de se jeter dans une pente abrupte. Dressés sur leurs montures, les coureurs défient la gravité à toute allure. Sur les dévers gelés, il faut sortir la jambe intérieure à la pente pour faire balancier. Dans ce spectacle digne d’un ballet, les gestes sont fluides, l’enchaînement harmonieux. Les cyclocrossmen sont des funambules. Le vélo serait une affaire de physique, un sport d’endurance ? Eux brillent par leur adresse.

Dans la zone équipes avant la course, on s’agite du côté du camping-car de la sélection américaine. Hunter Veloz, bonnet vissé sur ses cheveux blonds de surfer, est désigné par ses pairs comme l’expert mécanique. La technologie a beau être perfectionnée, il est persuadé que les talents du coureur restent primordiaux : « Le plus important dans un vélo ? Le coureur qui est dessus ! ». Pour Cyrille Guimard, champion de France de la discipline en 1976, c’est à l’école du cyclo-cross qu’on apprend à courir. « Ce sport a cette qualité : c’est d’apprendre à piloter un vélo. C’est d’affiner vos qualités cyclistes de base : la glisse, les virages, les dévers. Il faut commencer par là, comme il faut aller sur la piste. C’est là où on va aller chercher les petits plus pour être un bon routier.» Au tournant des années 80, « Le Druide » fut l’un des premiers directeurs sportifs à initier ses coureurs routiers à la discipline hivernale. Dans le froid des Mondiaux au Luxembourg, il raconte comment il a fait du jeune Marc Madiot un double vainqueur de Paris-Roubaix.

Cyrille Guimard,
consultant, ancien coureur puis directeur sportif

Aujourd’hui manager de l’équipe FDJ, Marc Madiot encourage à son tour ses routiers à la pratique hivernale du cyclo-cross. « La plupart de mes garçons en ont fait, en préparation physique. On acquiert une meilleure appréhension de la notion de trajectoire, sur les pavés notamment. » Le cyclo-cross serait donc une pépinière de talents, une académie pour former des pilotes d’élite.

On lui prête aussi une autre vertu : sensibiliser le coureur à l’impact des choix mécaniques. Contre l’adversité des éléments, il faut s’adapter. Mathieu van der Poel, trahi par sa machine lors des Mondiaux 2017, ne dira pas le contraire. La « plus grande déception » de sa carrière trouve son origine dans un choix de pneus trop confiant. Quelques jours avant la course, les coureurs reconnaissent le parcours sur un sol gelé. Le jour J, la température est légèrement remontée. De quoi faire fondre la neige et rendre le parcours très boueux. Le passé industriel de la ville resurgit pour perturber la course : le circuit est situé sur un ancien site métallurgique. « Connaissant le passé de cette zone, on voit qu’il y a beaucoup de morceaux de métal, de cailloux qui remontent à la surface », prévient Richard Niewhuis, qui prépare les vélos de la sélection hollandaise. « On peut être sûr qu’on verra beaucoup de crevaisons. » Certain de son choix, le staff néerlandais persiste dans un choix de pneus utilisés d’habitude pour la boue.

«Le plus important dans un vélo, le coureur qui est dessus !»

Les pneus à gomme verte de Wout van Aert ont été le centre de toutes les attentions aux mondiaux.

Dans le camp de Wout van Aert, son grand rival belge, changement de programme. Son coach ressort une paire de pneus Michelin. Un modèle à gomme verte, plus commercialisé depuis 17 ans. Un trésor conservé dans son garage, comme on garderait précieusement une bonne bouteille de vin au fond de sa cave. Pendant la course, c’est l’hécatombe. Les bouts d’acier tranchants dissimulés dans la boue font même crever six fois le Néerlandais Lars van der Haar, recordman malheureux des pneus à plat. Seul en tête, Mathieu van der Poel croit filer vers la victoire, mais trois crevaisons détruisent son avance. Une quatrième, survenue trop loin des stands, le contraint à laisser van Aert s’envoler. Avec ses pneus aux crampons agressifs, le Belge triomphe. Pari gagnant.

Le dauphin semble avoir retenu la leçon. Une semaine après, à Hoogstraten aux Pays-Bas, le premier souci de van der Poel est de se pencher sur sa mécanique, conseillé par son père. Et de choisir ses pneus, plus ou moins cramponnés selon le terrain - boue, herbe, ou sable.

Opter pour le bon modèle est un temps fort de l’avant-course. Motif d’inquiétude pour les mécaniciens anticipant la météo. Objet de curiosité des spectateurs, lorgnant les vélos exposés devant les camions des équipes. Matière à bluff entre coureurs et sujet de controverse pour les observateurs. Il y a presque quelque chose de cérémonial dans le choix des pneumatiques. La pression insufflée dedans est tout aussi intrigante, très faible en général : de 1,2 à 1,8 bars dans chaque chambre à air, pour moins s’enfoncer. Bien loin des 8 bars compressés dans les boyaux tranchants utilisés sur route.

Avec des vélos conçus pour les conditions difficiles, la mécanique est star. Au premier regard, montures de cross et de route paraissent pourtant semblables.

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École de technicité, le cyclo-cross est aussi un laboratoire technologique. La course à l’armement se joue moins sur le terrain de l’aérodynamisme ou de la légèreté que de la maniabilité et de la résistance. De la théorie à la pratique, les équipementiers qui conçoivent le matériel de demain franchissent volontiers le pas.

Quelques heures avant la course reine au Luxembourg, la zone équipe est en pleine effervescence. Devant les bus, les mécaniciens s’activent dans la bruine vaporisée par les karchers. Au milieu de cette agitation discutent des représentants de SRAM, la marque qui fabrique des pédaliers, des dérailleurs ou des freins. Géraldine Bergeron travaille pour la firme américaine et est venue échanger avec les coureurs équipés par la maison. Selon elle, l’ingénierie se confronte ici à un terrain de recherche grandeur nature. « Le cyclo-cross est un laboratoire qui permet de tester le matériel dans des conditions extrêmes. Il y a énormément de changements de vitesse. En plus, on a les meilleurs athlètes au monde, qui poussent les produits à leur limite. » Parmi ces cobayes, le champion du monde, Wout van Aert, équipé d’un groupe nouvelle génération. Habituellement, la manette de droite, sur le guidon, permet à la fois de monter et descendre les vitesses, ce qui peut occasionner des erreurs. Sur ce nouvel outil, la logique de transmission, inspirée de la Formule 1, a été repensée. « À droite vous montez, à gauche vous descendez. Quand vous appuyez sur les deux en même temps, vous changez de plateau à l’avant », résume Géraldine Bergeron. Comme sur la route, les groupes électroniques se sont généralisés. Plus rapide, plus précis, ils sont un atout, surtout lorsque les coureurs sont dans le rouge, à cours de lucidité, et bataillent pour garder le bon doigté.

Un peu plus loin, on s’affaire autour des vélos chez Telenet-Fidea, grosse écurie belge dirigée par le jeune retraité Sven Nys. Les cadres de l’équipe sont fournis par Trek, un fabricant américain. Casquette de l’entreprise sur la tête, Scott Daubert détaille la dernière innovation sur le modèle utilisé par ses coureurs. « C’est un système qui permet d’isoler le coureur des vibrations du sol. Sous la selle, les tubes du cadre sont des pièces distinctes assemblées par un découpleur, de manière à ce qu’ils puissent bouger pour limiter les vibrations. » Une technologie développée en collaboration avec Fabian Cancellara, triple-vainqueur sur les pavés de Paris-Roubaix.

Aux côtés du technicien américain s’agite Jan Meeusen, mécanicien de son fils Tom, troisième de la Coupe du monde. Dans l’inventaire des innovations, il met l’accent sur les freins à disque. Plus efficaces, ils permettent de ralentir plus près des virages, ouvrant la voie à un pilotage plus agressif. Son fils Tom a sauté le pas cette saison : finis les freins à l’ancienne avec leviers et patins. Après un temps d’adaptation un peu déstabilisant, il a apprivoisé le nouveau système. Comme l’immense majorité des coureurs, alors que le peloton sur route est réticent à les utiliser : leur profil tranchant est régulièrement pointé du doigt après des blessures lors de chutes collectives.

«Le cyclo-cross est un laboratoire»

Conçu pour aider Fabian Cancellara à dompter les pavés de Paris-Roubaix, ce système permet de diminuer les vibrations transmises par le cadre.

Les freins traditionnels, dits « cantilevers », sont de moins en moins utilisés au profit des freins à disques. fixé au niveau du moyeu de la roue, le disque en aluminium permet un freinage plus rapide.

Sans cesse perfectionnée, la technologie ouvre le champ des possibles. Et forcément, elle enfante les dérives et alimente les fantasmes. Si le cyclo-cross est un milieu moins exposé que la route, est-il plus propice aux tentatives de tricherie ? En 2016, l’affaire Femke van den Driessche a marqué les esprits. Aux Championnats du monde, un contrôle avait révélé que la coureuse belge de 19 ans roulait avec un moteur dissimulé dans son cadre. Ce cas isolé n’engendre pas de suspicion généralisée chez les connaisseurs. Mais il n’a pas empêché le journal espagnol As de lancer une polémique en février 2017. Le quotidien sportif s’attaque au champion du monde, Wout van Aert, en s’appuyant sur des images montrant sa roue arrière déraper de manière intrigante à plusieurs reprises. « Ridicule », ricane le Belge à l’évocation du sujet en interview. Depuis le premier scandale de dopage mécanique dans le milieu, les vélos sont régulièrement contrôlés par l’UCI, comme aux Championnats de Belgique où ils l’ont tous été.

Dans le petit monde du cyclo-cross, il est un autre sujet qui fait jaser : les oreillettes. Le dispositif, utilisé sur route, permet au coureur de communiquer à distance avec son staff. Depuis cette année, elles sont autorisées entre coureurs et mécaniciens, lors des épreuves de premier plan. Supposée être un plus en cas d’alerte mécanique, la dernière innovation réglementaire de l’UCI ne ravit pas tout le monde. Les staffs confient ne pas en voir l’utilité. Du côté de l’équipe de France, on est même affligé par la futilité de cette mesure. « C’est n’importe quoi, s’offusque un mécanicien. Les coureurs sont déjà à fond, ils ne peuvent pas parler dans une oreillette, ils risquent de se casser la gueule ».

Les circuits n’offrent que très peu de moments de répit : pas le temps pour Mathieu van der Poel d’utiliser une éventuelle oreillette.

« Honnêtement, aucun intérêt ! » bougonne Cyrille Guimard, farouche opposant aux oreillettes. « Toute communication qui passe par les oreilles va faire perdre une grande part d’attention au coureur, modifier sa concentration et sa perception de l’équilibre. » Dans le grand bain du cyclisme sur route, la communication à distance est normalisée. Gage de sécurité, moyen d’information sur les écarts de course. Mais on ne « téléguide » pas un cyclocrossman. Car le coureur est maître de sa décision de changer de vélo, au bon moment. Comme si, en plus d’être un monstre physique, un acrobate sur roues, il se devait de garder la tête froide, de prendre la bonne décision, de faire le bon geste. L’alliance entre l’homme et la machine. La tête et les jambes.

X
COUPE DU MONDE
L’une des trois compétitions majeures de la saison, organisée en étapes dans différents pays. Le Superprestige et le DVV Trofee, disputés en huit manches chacun, se tiennent uniquement en Belgique et aux Pays-Bas.
VO2 MAX
La quantité maximale d’oxygène qu’un organisme peut absorber en plein effort. Assimilable à la cylindrée d’un moteur, elle donne une indication de l’endurance de la personne, et peut être améliorée par l’entraînement.
BUNNY-HOP
Le saut qu’effectuent les coureurs sur leur vélo pour franchir un obstacle, notamment les planches disposées sur les parcours.
LABOURÉS
Surnom des circuits boueux typiques du cyclo-cross. Le terme peut aussi désigner la discipline en général.
LILLE
Petite ville aux quatre champions du monde, au nord de la Belgique. À ne pas confondre avec la ville française, qui s’'écrit Rijsel en Flamand.
VRT
La Vlaamse Radio en Televisieomroeporganisatie est la télévision de service public flamande. Elle retransmet les compétitions de cyclo-cross l’hiver, et les classiques ou le Tour de France pendant la saison sur route.
WATTAGE
Les Belges empruntent à l’anglais ce dérivé de watts, unité de mesure de la puissance. Utilisé ainsi, il désigne la force dégagée par un coureur.
LES CLASSIQUES
Courues pour la plupart en Europe, elles sont les plus prestigieuses courses d’un jour. Les flandriennes comme Paris-Roubaix ou le Tour des Flandres et les ardennaises comme Liège-Bastogne-Liège ont lieu entre fin mars et début avril.
Grand Tour
Le Giro, le Tour de France et la Vuelta sont les trois épreuves reines du calendrier sur route. Longues de trois semaines, elles regroupent les meilleurs coureurs du peloton sur les routes d’Italie, de France et d’Espagne.
BAR
L’une des unités de mesure de la pression, c’est-à-dire la force avec laquelle un gaz appuie sur une surface.
GROUPE
L’ensemble de pièces qui assure notamment le changement des vitesses. Il est composé entre autres du pédalier, des plateaux, des pignons, des manettes pour passer les vitesses.
TRANSMISSION
Système de passage des vitesses et des plateaux qui permet de varier de braquet, plus ou moins gros, selon la difficulté et la vitesse. Cadre
CADRE
Squelette du vélo, constitué de tubes en carbone, qui assure la liaison entre tous les éléments.
DECOUPLEUR
Dans le système Iso Speed créé par le fabricant de cadres Trek, le découpleur est une pièce qui assemble les tubes du cadre pour limiter les vibrations : tube de selle, montants arrières et tube horizontal.